«Dans les jeunes femmes, la beauté supplée à l'esprit. Dans les vieilles, l'esprit supplée à la beauté.», Montesquieu
Montesquieu avait vu juste, et avait su sans le savoir, soulever une idée toujours autant manifestée à Hollywood, et ce bien avant son apparition : le culte outrancier de la beauté, cette loi rude qui vous efforce en tant qu’actrice à vous attirer une critique proche de l’unanimité sur votre physique, avec une plastique qui soit dit en passant se doit également de garder sa sensualité et son effet ravageur le plus longtemps possible, ce qui vous l’aurez compris, est impossible. En effet, nombreux sont les spectateurs du cinéma, et donc des actrices, à considérer qu’une comédienne se doit presqu’impérativement d’être belle. Avant d’écrire cet article, je me suis prêté au jeu de demander à des personnes de mon entourage, ce qu’elles pensaient sur telle ou telle actrice, le plus légèrement possible, sans prendre un air solennel comme à l’annonce d’une nouvelle de très haute influence. Et dans la majorité des cas, les avis énoncés se sont rattachés au physique des comédiennes évoquées. J’ai très souvent eu droit à des : «Oh oui, elle est vraiment trop belle» ; «Non, elle n’est pas belle» ; «Je la trouve laide, moi» ; «Han, elle est belle !», et seulement très rarement la question du jeu et de la filmographie était mentionnée. En revanche, quand j’ai tenté la même approche avec des acteurs, le discours en majorité était tout autre : «Je l’adore, il était génial dans x ou y film» ; «Il est trop drôle, on en fait pas deux comme lui». Et ce même en abordant des acteurs pourtant eux-mêmes considérés comme des sex-symbols, comme Johnny Depp par exemple, pour qui, si la question à proprement parler du physique n’est pas abordée s’attirera plus d’éloges sur ses films et son talent d’acteur en lui-même qu’un bon nombre d’actrices – si l’on se base toujours sur ce petit jeu expérimental que j’ai joué autour de moi, bien sûr.
Belles, avec ou sans rides
En novembre dernier, sortait sur nos écrans le dernier James Bond, 007 Spectre, film très attendu, bénéficiant d’une convoitise comme se l’est accoutumée la franchise depuis belle lurette. Ce dernier épisode de la saga culte a en partie fait parler de lui pour le rôle que Monica Bellucci y tient. Et même si cette dernière a beaucoup déçu, moi le premier, par son apparition très furtive voire frustrante, c’est la question de son âge qui avait été abordée. Si l’actrice s’est elle-même définie comme une Bond Lady, et non comme une Bond Girl, c’est probablement sa manière à elle de souligner le fait qu’elle ait incarné la James Bond Girl la plus âgée de la saga. La démarche de Sam Mendes derrière ce choix singulier, était de mettre en scène une femme d’âge mûr dans la longue saga des Bond. Une manière certainement, de mettre en évidence l’idée qu’on peut toujours se montrer belle et désirable à cinquante ans. Une intention que de nombreux spectateurs n’ont pas saisi visiblement, puisque de nouveau ici, j’ai entendu plusieurs personnes autour de moi dirent : «Elle est ridée dans le film, on voit ses rides, hein !» ; «Elle n’est plus très fraîche !». Alors que c’est justement ce qu’il y a derrière ce parti pris de Sam Mendes : mettre en scène une femme qui affiche clairement et sans pudeur ses cinquante ans, tout en jouant de ses charmes.
À gauche : Daniel Craig et Monica Bellucci à Rome pour la promotion du film 007 Spectre. À droite : Bellucci dans Matrix Reloaded en 2003.
Mais Monica Bellucci n’est pas la seule, et en effet de nombreuses actrices qui ont fait leur gloire en partie grâce à leur physique se doivent désormais de trouver un créneau plus efficace pour s’attirer du succès et ainsi perdurer comme elles le peuvent. On peut prendre l’exemple de Sharon Stone, qui est passée à la postérité, notamment grâce à son rôle mythique dans le film Basic Instinct de Paul Verhoeven, qui l’avait aussi dirigée sur Total Recall en 1990 avec Arnold Schwarzenegger, long-métrage où l’on se souvient bien sûr tous de la fameuse scène de l’interrogatoire, où Sharon Stone croise les jambes langoureusement, sans culotte. Un rôle qui lui a value longuement une sulfureuse réputation de vamp sexy, puisqu’elle n’avait pas hésité à enchaîner sur Sliver en 1993, juste après Basic Instinct, probablement parce que son entourage professionnel avait voulu profiter dans l’immédiat de l’engouement autour du considérable capital sensuel de l’actrice. Mais Sharon Stone n’est pas dupe, et même si en 2006, elle tourne dans une suite de Basic Instinct, elle semble prendre rapidement conscience que si elle veut durer, il lui faudra trouver un registre peut-être moins affriolant. En effet, la même année, elle tourne dans Bobby et Alpha Dog, où elle manifeste déjà un désir palpable de se lancer dans des projets, où on lui proposerait des rôles moins axés sur son physique. Plus récemment, et bien qu’elle soit devenue très discrète, comme de nombreuses actrices de sa génération, on l’a vue dans Lovelace, dans un rôle tourmenté où elle était méconnaissable, tant le caractère séduisant qu’on lui connaît si bien s’était fait discret. Mais sa réputation de femme fatale lui colle cependant toujours à la peau, comme l’avait prouvé son rôle dans Apprenti Gigolo en 2014, où l’on continuait, et ce même si elle approche des soixante ans aujourd’hui, à la mettre en scène comme une créature sensuelle et aguicheuse. Cependant cette démarche n’est pas à blâmer à mon sens, puisqu’elle semble s’inscrire dans la veine de celle mentionnée plus tôt, dans le dernier James Bond. En revanche Apprenti Gigolo n’a pas été un immense succès et il ne s’inscrit pas dans le genre de films qui attire le public le plus large, et le plus varié. Effectivement, une majorité du public est attirée par les blockbusters, les films dit «à grand public», tout simplement parce qu’elle préfère se divertir que réfléchir, ce qui n’est pas à reprocher. Car en effet, c’est aussi ça le cinéma : faire rêver, s’évader, et mettre en scène, en images, nos fantasmes. Apprenti Gigolo n’était pas tout à fait dans ce créneau, puisqu’il se voulait plus comme un film poussant à la réflexion, que comme un métrage nous immisçant dans l’onirique pur, et ce malgré son caractère érotique évident, donc fantasmagorique. Ainsi, les actrices peuvent elles aussi s’inscrire dans une démarche qui chercherait à déclencher le fantasme, et cela fonctionne à merveille.
De gauche à droite : Sharon Stone dans Basic Instinct en 1992, puis posant pour The Hollywood Reporter en 2014, et enfin dans Basic Instinct 2 en 2006.
Le syndrome de la «potiche» qui fait fantasmer
À gauche : Cameron Diaz et Jennifer Lopez remettent un prix aux Oscars en 2012. À droite : Cameron Diaz dans Charlie et ses drôles de dames en 2000.
On connaît tous un homme – ou une femme à l’occasion -, qui s’est extasié(e) devant les fesses de Megan Fox dans Transformers, les combats déjantés de Cameron Diaz dans Charlie et ses drôles de dames ou les courbes sensuelles de Jessica Alba dans Les Quatre Fantastiques, c’est certain. Et même avec l’affection que je leur porte, et en particulier à la deuxième citée, ce sont des actrices qui auraient difficilement rencontré le succès sans leur physique attrayant. Fort heureusement, il existe des actrices à l’image plus atypique qui ont bel et bien percé, comme l’hypnotique Tilda Swinton, et ont réussi grâce à ce physique plus singulier à s’attirer des projets plus intéressants d’un point de vue du jeu pur en tant qu’actrice, s’évitant ainsi le passage par la case «potiche» dont bien des actrices ont fait les frais. Ce qui n’est pas un mal en soi, je suis le premier à ne pas être insensible au charme d’une actrice, cependant je trouve dommage qu’on puisse enfermer la fonction d’une comédienne à sa beauté plastique. Je pense également que cette image que le public voudrait proche de la perfection chez les stars, permet aux spectateurs et spectatrices de fantasmer sur un idéal de beauté, et que par conséquent, il est presqu’inconcevable pour certain(e)s d’imaginer que les vedettes puissent ne pas être des canons. En particulier chez les actrices. Nombreuses sont les femmes qui se sont rêvées avoir les seins d’Angelina Jolie dans Tomb Raider ou les jambes athlétiques de Gwyneth Paltrow. À l’image des adolescentes qui rêvent obstinément d’atteindre le poids des mannequins retouchés qu’elles aperçoivent dans le Cosmopolitan ou le Glamour.
Les acteurs sont souvent perçus d’une manière différente. Quand ils ne sont pas «sublimes», «magnifiques», «à tomber», le public arrive à passer outre. De très grands acteurs comme Tom Hanks par exemple, sans être laid, ont réussi à s’attirer une reconnaissance majeure et quasi-unanime malgré leur physique qui ne se rapproche pas d’un canon de beauté précis. De même pour Jack Nicholson, par exemple. Ce qui est bien plus difficile pour les actrices, notamment dans leur jeunesse. De jeunes vedettes comme Amanda Seyfried, malgré le fait qu’elles varient les registres ingénieusement, devront plus tard, en vieillissant, réfléchir à une manière de perdurer en étant moins attirante, obtenant ainsi probablement, des rôles davantage intéressants.
De gauche à droite : Amanda Seyfried pose pour Lolita malgré moi, Jessica Alba dans Les Quatre Fantastiques et Megan Fox dans Transformers.
«Laide ? Ta place n’est pas ici !»
Et quand est-il des actrices que la plupart trouve «laides» ?
À gauche : Sarah Jessica Parker assiste aux Oscars en 2009. À droite : Sex and the City
Me vient à l’esprit le cas Sex and the City, avec sa fameuse vedette Sarah Jessica Parker dont le visage a fait l’objet de maintes et maintes critiques, notamment sur la toile. Si l’apparence de l’actrice a suscitée de nombreuses moqueries, ça ne lui aura pas empêché de faire de Sex and the City une série culte aux multiples récompenses, et à s’assurer une somme aux nombreux zéros dans son compte en banque. En effet, l’actrice est la preuve vivante qu’il ne suffit pas d’être belle aux yeux du plus grand nombre pour s’attirer du succès dans le milieu du show-business. Et même si son visage fait encore systématiquement l’objet de railleries, la comparant à un cheval pour la plupart – un site a même vu le jour autour de cette blague (http://sarahjessicaparkerlookslikeahorse.com/) -, elle peut quelque part représenter ce qu’il peut y avoir de futile dans la beauté. Et de nouveau, on peut citer d’autres actrices qui sont passées à la postérité avec des rôles de nanas en marge, loin des canons de beauté, comme Toni Collette avec Muriel en 1994 ou Renée Zellweger avec Le Journal de Bridget Jones en 2001. Puisqu’elles ont incarné ces personnages complexés qui ont su séduire le public en invitant les spectateurs à s’accepter tels qu’ils sont.
À gauche : Renée Zellweger dans Le Journal de Bridget Jones. À droite : Toni Collette dans Muriel.
Le comble en revanche, est que visiblement, le public a plus de mal à accueillir une actrice qui s’éloigne des canons de beauté quand elle n’incarne pas un personnage qui est lui-même victime de cette différence. Et il est décevant de voir qu’à l’approche de 2016, nous en sommes toujours à cette idée que l’actrice doit être séduisante, et que si elle ne l’est pas, il ne serait pas surprenant de la pointer du doigt, alors que le métier ne se résume pas qu’à la plastique - bien que parfois charmeuse, c’est difficilement contestable -, et a des aspects bien plus percutants. Mais la rigueur instaurée par la loi du «Tu seras belle, ne veilleras pas et resteras désirable» est telle qu’on voit des Meg Ryan ou des Teri Hatcher (Desperate Housewives) par exemple, s’infliger des transformations malvenues pour contourner le travail du temps.
Je vais donc faire une sorte de boucle en mentionnant de nouveau Monica Bellucci qui avait ouvert cet article, en citant ses propos, évoqués lors d’une interview accordée pendant le Festival de Cannes en 2009, à l’occasion de la promotion du film Ne te retourne pas : «Je crois que quand on est jolies, on a un espèce de masque (…) on risque de s’arrêter à ça, du coup je crois qu’il faut casser ce masque, aller au-delà et montrer d’autres choses de soi, sinon on risque de s’ennuyer. (…) Je crois que la beauté invite à une certaine curiosité (…) la beauté en soi, et que la beauté seulement, a vraiment, très peu d’espace de vie s’il y a pas autre chose à côté et on décroche pas des rôles si on a pas le talent (…)». Je crois que Bellucci a pigé le truc.
Lewis