Critique : This Is What the Truth Feels Like, Gwen Stefani
Après dix longues années, l’attente touche enfin à sa fin. En effet, Gwen Stefani, qu’on connaît tous grâce au succès du groupe No Doubt, qui a fait sa notoriété aux quatre coins du monde, puis ses morceaux survitaminés, déjantés, ou encore ses ballades pleureuses et poignantes de poupée de cire fissurée, nous revient finalement avec un album qu’on n’attendait plus, intitulé This Is What the Truth Feels Like. D’abord prévue pour décembre 2014, la sortie de cet opus s’était vue repoussée suite aux bides causés par les singles Baby Don’t Lie et Spark the Fire, qui n’avaient pas réussi à rencontrer le succès. À la suite de cela, démotivée et en manque d’inspiration, Gwen Stefani s’était finalement résolue à faire table rase de son travail déjà effectué pour ce troisième opus solo et de tout recommencer à zéro, davantage inspirée par son divorce tumultueux avec son désormais ex-mari, Gavin Rossdale. Mais en dix ans, Stefani a tout de même eu l’occasion de sourire – et heureusement pour elle -, notamment avec le réjouissant retour de No Doubt et leur disque Push and Shove, en 2012, ou encore un job de jurée dans la version américaine de The Voice, piqué, à l’image d’une Shakira, à Christina Aguilera, jusque-là reine du télé-crochet vedette aux États-Unis – par ailleurs et pour l’anecdote, la chanteuse en a profité pour passer dans les bras de son collègue de plateau, le chanteur de country Blake Shelton (la preuve que certaines savent joindre l’utile à l’agréable).
Mais pour vous épargner un condensé de numéros d’US Weekly étalés sur une décennie, autant foncer droit au cœur des choses et se pencher sur ce que vaut ce fameux nouvel album, synonyme d’un comeback attendu depuis des lustres. Pour commencer et en toute honnêteté, autant vous dire que je n’ai d’abord pas du tout accroché à ce This Is What the Truth Feels Like, que j’ai en premier lieu trouvé bourrin, bordélique, pubère, voire même un peu laid. Puis en accumulant les écoutes, j’ai fini étonnamment par l’apprécier à sa juste valeur – comme quoi, j’aurais dû tourner ma langue sept fois dans ma bouche avant de parler. En effet, après avoir retenti maintes et maintes fois fans mes oreilles, c’est une certitude : This Is What the Truth Feels Like nous fait redécouvrir cette Gwen, visiblement sous cocaïne, complètement perchée et survoltée, prête à nous faire embarquer dans une soucoupe volante, vers une contrée lointaine et bariolée, où la foule entière est surexcitée et où tout clignote – sorte de cartoon «starring Gwen Stefani», en somme.
This Is What the Truth Feels Like s’ouvre sobrement sur Misery – dernier single en date de l’interprète d’Hollaback Girl -, un morceau suave et onduleux, que j’avoue avoir d’abord boudé, le trouvant timide et un tantinet trop sage, avant de lui rendre finalement justice. Car à l’ouverture du disque, Misery campe le rôle d’un morceau d’introduction qui établie une gradation quant au reste de l’album, qui s’avérera barré à souhait, et digne d’un véritable bad trip après une escapade mouvementée au pays des merveilles. Misery fait donc office d’entrée en matière régulée certes, mais suffisamment enjouée pour reconnaître d’ores et déjà les délires à venir de Gwen. Succède ensuite à Misery, la ballade désespérée You're My Favorite, où l’on retrouve d’emblée une Gwen émotive, qui nous rappelle celle qui se purgeait sur un 4 In The Morning par exemple, dans une ambiance énigmatique et bulleuse, mais aussi planante, rappelant d’ailleurs les envolées sensuelles d’un Luxurious. Après avoir larmoyé sur You're My Favorite, Gwen se remue pour entonner Where Would I Be?, un titre urbain qui rappelle le «early 2000s», porté par des refrains en chœur, réchauffés par les voix chaudes de divas à la Mary J. Blige, où Stefani renoue avec la niaque d’un Hollaback Girl sur un pont pêchu – une référence à laquelle on peut s’essayer bien des fois à l’écoute de cet opus. Le tout accompagné de sonorités reggae suggérées, créant ainsi une ambiance libre où l’on irait s’enflammer en pleine rue à l’image de Christina Aguilera et de Lil' Kim dans Can't Hold Us Down, en chantonnant comme une Destiny's Child, sur ce morceau tatoué par l’aura du son des années 2000, s’imposant certainement comme un des coups de cœur offerts par ce disque. Arrive ensuite comme un cheveu sur la soupe, le morceau Make Me Like You (deuxième single de l’album), qui casse subitement la dynamique imposée par Where Would I Be?, jusqu’à nous faire redescendre du nuage d’extase suscité par la piste précédente, en nous ramenant à ce titre caricatural d’une Gwen Stefani qui oui, fait de la musique qui sait se montrer fraîche, parfois optimiste et bubble gum. Sauf qu’hélas, Make Me Like You ramène cette fraicheur à son modèle low cost, nous livrant ainsi une sorte de Cool 2.0 – et après la psychothérapie, s’il vous plaît – avec un zeste de The Sweet Escape, donnant alors lieu à une soupe bien fadasse, sans être pour autant indigeste. Puis la chanteuse de No Doubt rejoue les moroses, avec une nouvelle ballade, cette fois-ci intitulée sobrement Truth, où elle entonne des refrains éponymes au titre de son dernier disque, dans cette chanson sage, de nouveau plutôt larmoyante, et intimiste, qui prépare bien le terrain de celle qui lui succèdera : Used To Love You. Premier single de This Is What the Truth Feels Like, depuis la table rase de la chanteuse, Used To Love You avait fini par rimer avec lassitude chez moi, après un nombre incommensurable d’écoutes de ce dernier. Mais il faut avouer, que la place que prend la chanson sur l’album m’a réconcilié avec cette dernière, puisqu’en succédant à la sobre Truth, elle se révèle comme une bonne surprise, en ballade – encore une – tonifiante et poignante, où l’on retrouve les fameux phrasés effrénés de la Miss. Vient ensuite à nos oreilles, un morceau qui semble commencer à traîner Gwen Stefani hors de la déprime : le dénommé Send Me A Picture, un titre lunaire et nocturne, très sensuel et dansant qui se compte parmi les perles délivrées par cet album. Red Flag fait ensuite son entrée, un morceau hybride, mutant, qui oscille entre le ton d’une ballade – encore et toujours – et celui d’un titre plus déjanté et haut perché avec une Gwen qui rappe et délire avec une voix qui ondule toujours autant, sur un titre qui peut rappeler Serious pour sa double trame. Succède à Red Flag, Asking 4 It (feat. Fetty Wap), pour lequel Gwen Stefani aurait carrément pu recycler Akon de The Sweet Escape, sur ce titre calibré pour les clubs et qui rappelle également et vaguement un Bubble Pop Electric ou les beats lourds d’un Breakin’ Up. En somme, un morceau taillé sur mesures pour nous faire danser en boîte, mais dont le manque de personnalité m’inspire hélas, la vision cauchemardesque de Nicki Minaj entrain de twerker, et c’est peut-être ce qui le rend malheureusement dispensable à mes yeux – désolé, Gwen. Mais ce manque de personnalité est très vite comblé par la piste suivante, où l’on retrouve ô combien, la Gwen folle furieuse, complètement déjantée, au phrasé survitaminé, à la voix un tantinet rauque et à l’énergie ravageuse, le tout sur une instru tellement survoltée, qu’elle nous donne l’impression de partir en pleine crise d’épilepsie. Un concentré de folie épatant où Gwen Stefani débite tantôt ses syllabes les plus endiablées, et où tantôt, elle jouit, sur cette chanson qui s’apparente au style de titres qu’on a honte de mimer. Et non, ce n’est pas une blague : ça s’appelle Naughty et c’est dans This Is What the Truth Feels Like – et oui, pas besoin de drogues quand on peut écouter du Gwen Stefani. Puis, la chanteuse nous revient soudainement plus assagie, sur une énième ballade où elle continue visiblement de purger son divorce douloureux, baptisée Me Without You. Sorte de Used To Love You 2.0 en plus sobre, où l’on retrouve une patte intimiste et pleureuse, qui peut rappeler des ballades teenager à l’image de 4 In The Morning ou Cool par exemple. Gwen Stefani clôture ensuite la version standard de son dernier né avec une dernière ballade, Rare, cette fois-ci plus ensoleillée et optimiste, qui nous emmène peu à peu et enfin, voir le bout du tunnel d’une rupture éprouvante, le tout sur des refrains envolés et planants.
Et pour les plus gourmands, ceux qui désireraient faire un dernier tour de manège sur la «navette Gwen Stefani», la version deluxe de l’album fera prolonger votre voyage sur cinq stations supplémentaires. En faisant d’abord une escale par Rocket Ship, sorte d’apologie du délire interstellaire que peut susciter This Is What the Truth Feels Like, pour faire perdurer cette ambiance lunaire et lumineuse avec Getting Warmer, espèce d’hymne solaire et conviviale, à qui succède Obsessed, autre morceau où l’on recroise le chemin de la Gwen déjantée et surexcitée qui s’éclate sur une instru surchauffée et délirante. Nous repartirons ensuite en soucoupe volante vers la planète Splash, où résident des sons extraterrestres et électriques, pour terminer sur Loveable, ultime ballade nocturne, un tantinet sombre, et purificatrice. Et c’est ainsi que se termine cette escapade au pays de Gwen, un univers qui s’apparente à des montagnes russes émotionnelles, où tantôt, tout est archi-coloré, fluorescent, surexcité, et tantôt déprimé, larmoyant et désespéré. C’est à se demander si Gwen Stefani n’était pas un personnage de cartoon dans une vie antérieure, soit hyper-exalté, drôle et débridé, soit à pleurer sa douleur en chantant - Tex Avery aurait adoré.
À l’aube du printemps 2016, Gwen Stefani signe un retour en grâce avec un album à la fois délirant, drôlissime, mais aussi plus sensible, purgeant les cicatrices d’une séparation difficile ; et un conseil : ne vous fiez pas à votre première écoute du disque !
Lewis