[Cannes 2016] Critique : Café Society
Synopsis : New York, dans les années 30. Coincé entre des parents conflictuels, un frère gangster et la bijouterie familiale, Bobby Dorfman a le sentiment d'étouffer ! Il décide donc de tenter sa chance à Hollywood où son oncle Phil, puissant agent de stars, accepte de l'engager comme coursier. À Hollywood, Bobby ne tarde pas à tomber amoureux. Malheureusement, la belle n'est pas libre et il doit se contenter de son amitié.
Jusqu'au jour où elle débarque chez lui pour lui annoncer que son petit ami vient de rompre. Soudain, l'horizon s'éclaire pour Bobby et l'amour semble à portée de main…
C’était hier soir que ma sœur et moi nous immiscions une fois de plus, au cœur de l’univers allenien, en guise de rendez-vous annuel, à l’image de celui occasionné par L'Homme irrationnel l’année dernière.
Le 11 mai dernier, Woody Allen et les vedettes de Café Society présentent leur film. Long-métrage ouvrant d'ailleurs ce 69ème Festival de Cannes, et ce hors-compétition.
Nous sommes aux alentours de 10h du soir, au cinéma il n’y a pas foule et les sièges semblent parsemés d’absence. Seuls les cinéphiles invétérés certainement fervents admirateurs du Woody se sont visiblement décidés à faire le chemin jusqu’aux salles obscures – le tarif à 4€ proposé par UGC aide -, dans un élan religieux et fidèle. À l’image de mon ancienne prof de français de 4ème que j’aperçois à ma plus grande surprise sur le siège devant moi. À nos oreilles viennent taper les sons de la bande originale du colossal Pulp Fiction de Tarantino, du Misirlou au Jungle Boogie de Kool & The Gang, puis les lumières s’éteignent : un énième matraquage publicitaire démarre, d’abord élégamment avec la bande-annonce du dernier Paul Verhoeven, et également celle, kitschissime, du récent Garry Marshall, qui nous arrache un sourire à ma sœur et moi. Puis quelques minutes plus tard, après cette hystérie communicative, c’est une ambiance plus assagie, plus douce et chaleureuse qui s’impose, lors des premières minutes du dernier bijou signé par le monumental Woody Allen, Café Society. Qui démarre d’emblée sur ces notes jazzy et cuivrées, cette police rétro et classieuse, et mettant de suite en scène ces personnages oscillant entre le loufoque et le sensible. Le protagoniste de ce Café Society, merveilleusement campé par Jesse Eisenberg, est d’ailleurs un digne héritier du personnage gauche et maladroit interprété par Woody Allen lui-même, qu’on avait pu observer dans un Annie Hall ou un Manhattan, - tous deux anthologiques dans la filmographie du maître. Qu’Eisenberg reprend presque dans un corps anguleux modelé à la Tim Burton, des expressions faciales sensibles et fragiles portées par une grande justesse. Dans cette fable amoureuse blessée, à laquelle on peut tous se refléter, livrant ainsi un miroir nuancé et mettant à distance l’utopie. Offrant ainsi, un reflet de l’émotionnel humain particulièrement poétique et joli, où les personnages sont parfois tendres et délicats, loufoques, décalés et même durs, quelque fois.
Au beau milieu de ce décor hollywoodien au cœur des années 30, Woody Allen met en scène ce dilemme amoureux, auquel sont confrontés une Kristen Stewart épatante et un Jesse Eisenberg romantique et vulnérable. Café Society dresse alors avec raffinement et délicatesse un portrait irrité et frustré d’une tranche de vie, où un amour impossible refoulé peine à se dissiper. Kristen Stewart, qui joue le rôle de Vonnie, personnifie ici cet idéal romantique inatteignable, que le personnage d’Eisenberg, Bobby, voit filer sous son nez. Donnant lieu à un vide qu’il tentera aveuglément de combler en épousant Veronica, superbement incarnée par la resplendissante Blake Lively, une femme charmante à souhait mais qui ne remplace pas aux yeux de Bobby, la muse campée par Stewart. Avec Café Society, Woody Allen réitère la poésie avec laquelle il approche nos frustrations, nos déceptions, nos blessures. Avec à la fois des personnages au charme fou, ou à l’inverse, qui peuvent davantage susciter chez nous l’aversion, cependant avec une once de saugrenu qui nous aide ainsi à nous les faire mieux digérer. Comme le personnage de l’oncle Phil joué par Steve Carell, qui s’accapare Vonnie, l’arrachant au sensible Bobby. S’inscrivant alors dans la tradition des films alleniens de purgation, et avec un zeste de modernité nostalgique, Café Society nous ramène au chemin amoureux, mais aussi à celui de nos carences, nos déceptions, nos espoirs. Peut-être en nous invitant à les appréhender de manière plus suave, plus gracieuse, onctueuse, sans jamais nous cantonner à un idéal trop facile. Les deux derniers plans respectifs du film sur le duo Stewart/Eisenberg laissent libre cours à une pluie de perspectives. Clôturant un film honnête, sur nos faiblesses, enveloppé dans un emballage d’une grâce folle et absolue. Une « purgation-doudou ».
Lewis